Cinéma pratique n°107-1971
Ce film, en tentant de cerner la vie des lycéennes et leur regard sur cette vie, devient une sorte d’ascenseur du monde mental qui traverserait et photographierait des “respirations”, des impulsions complémentaires ou contradictoires, co-existant dans une même réalité. Le jeu, le reportage, le théâtre, l’imagination, les réalités, la fiction, concourent à ce travail collectif assez exceptionnel parce qu’il s’agit là d’un film non seulement bien réalisé et cinématographiquement cohérent, mais parce qu’il renferme une interrogation permanente sur le médium filmique et son influence sur ce qui existe devant lui et ce qu’il en enregistre. A suivre, dans son propos, porte le doute vis-à-vis de la démarche habituelle du cinéma avec une sincérité et une honnêteté plus que rarissimes. Il s’ensuit, en contrepartie, un aspect “a-spectaculaire” qui par sa durée, ses cassures et son regard qui n’est plus dirigé vers le spectateur, trouble la fascination habituelle que celui-là attend lorsqu’il n’a été formé qu’au moule formaliste du cinéma commercial.
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Louis Marcorelles
Le Monde
L'EXEMPLE DU HAVRE
Une tentative au moins existe à ce jour qui va exactement dans cette direction : celle de l’Unité Cinéma de la Maison de la Culture du Havre, qu’animent Vincent Pinel, sorti de l’IDHEC, et Christian Zarifian, auteur de deux films réalisés au moyen de cette unité cinéma. Dès la création de l’unité, le premier janvier 1969, les deux animateurs formulaient un plan de travail assez précis. Tout en reconnaissant le rôle joué par “l’art et essai”, ils insistaient sur la nécessité de “trouver un nouveau public pour le sensibiliser au phénomène cinématographique”; ils relevaient, à juste titre, les “conditionnements culturels” qui s’ajoutent aux “conditionnements économiques, sociaux, politiques, ambiants...”. Ils parlaient de “la prise en charge par chacun de sa propre culture”. D’où une activité triple. D’abord un travail à la base sur des petits groupes homogènes, des foyers de jeunes, des établissements scolaires, diverses collectivités. Ensuite la formation d’animateurs “issus des groupes touchés par ces animations”, en collaboration avec la Fédération des Œuvres Laïques. Enfin la production de films en 16 millimètres. Des projections régulières ont lieu, en outre dans le bâtiment de la Maison de la Culture proprement dite, où Pinel et Zarifian ont installés une des projections les plus perfectionnées de France, notamment pour le 16 millimètres. Il revient à Christian Zarifian d’avoir mis sur pied les premières tentatives de production de films, avec deux moyens métrages en 16 millimètres : On voit bien qu’c’est pas toi, sélectionné l’an dernier pour la semaine de la Critique à Cannes, et A suivre, juste achevé. Ce n’est pas tant la facture qui importe, pourtant assez remarquable, que la méthode de travail et de tournage. Zarifian, dans le premier film, collabore avec un groupe de jeunes travailleurs des foyers du Havre, dans le second, avec sept jeunes filles, élèves du lycée Claude Monet. Il leur demande de décrire, à travers un mélange de fiction et de réalité, leurs activités quotidiennes, leurs rêves, leurs désirs, leur révolte. Allant contre les clichés reçus et un certain esprit démagogique souvent encouragé par les adultes, il laisse adolescents et adolescentes “prendre la parole” dans tous les sens du terme.
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Georges Rouveyre
L’éducation, mai 72
Je signale pour ma part ce film comme “le meilleur” de Toulon 72 : corrosif, tendre, onirique et vrai. S’il traite essentiellement de la condition lycéenne, il nous entretient aussi de la difficulté d’être professeur (comment être un adulte face à des adolescents d’aujourd’hui ?). Ces enseignants pris au piège de la caméra-vérité dirigée par leurs élèves - charmantes et cruelles “espiègles Lili 70” - ne manquent certes pas d’intelligence et de bienveillance et cependant on les dirait parfois réduits à la caricature d’eux-mêmes. “Eh bien ! mais riez mes petites filles, riez donc ! On dirait que vous ne savez plus rire”, réclame avec une insistance insolite l’une de nos collègues sur l’écran. Le rire finit bien par naître mais est-ce celui que souhaitait le professeur ? Je ne suis pas prêt d’oublier non plus ces longues promenades dans les couloirs nocturnes d’un lycée livré aux fantasmes de ces “demoiselles de dix-sept ans”, apprenties sorcières qui ont su user - si jeunes et si savantes déjà - de la caméra comme d’un prodigieux révélateur d’exorcismes. Certes voilà, pour nous, enseignants, un document à rencontrer. Quelle que soit notre réaction, il restera plein d’enseignement. Ce “jeune cinéma”, fait par des jeunes, est bien justement celui dont on peut beaucoup attendre. Le film porte un beau titre. Tout un programme : celui que nous proposerions volontiers au festival de Toulon des années prochaines que nous attendions avec impatience et confiance : à suivre...
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